Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais, 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
Texte extrait du site du musée d'Orsay :
# Datée de 1849, cette scène décrit le premier labour, appelé sombrage, que l'on effectue au début de l'automne et qui ouvre la terre afin de l'aérer pendant l'hiver. On y voit dans une plaine joliment vallonnée et fermée par un coteau boisé, deux attelages de boeufs tirant de lourdes charrues et retournant un champ dont on aperçoit les sillons déjà éventrés.
# Tout l'intérêt se concentre sur l'attelage du premier plan, sur ces boeufs du Charolais-Nivernais dont la robe claire, rousse et blanche, est mise en valeur par la lumière froide et claire qui enveloppe toute la scène. C'est d'abord une scène animalière, dont les héros sont les boeufs eux-mêmes, qui laisse peu de place à l'homme : le bouvier est bien petit sur cette toile.
# C'est un hymne au travail des champs dont la grandeur est d'autant plus magnifiée qu'il est aisé de l'opposer, en ces lendemains de révolution, aux turpitudes de la ville. C'est également une reconnaissance de la province, ici le Nivernais, de ses traditions agricoles et de ses paysages.
# Tout ceci fit que cette oeuvre réaliste fut presque unanimement louée par la critique. L'Etat qui l'avait commandée à Rosa Bonheur en 1848 pour le musée de Lyon, préféra la conserver à Paris, au musée du Luxembourg.
# Elle entra ensuite au Louvre à la mort cette artiste, riche et célèbre, en France, en Angleterre, mais surtout aux Etats-Unis, avant de rejoindre les collections du musée d'Orsay.
Texte de Leïla Jarbouai extrait du site aware womenartists
# Véritable légende vivante de son temps, devenue figure iconique du féminisme au XXe siècle, Rosa Bonheur a porté à un degré de perfection la peinture animalière. Elle se forme à l’art auprès de son père, Raymond Bonheur (1796-1849), professeur de dessin et saint-simonien. Sa mère, Sophie Marquis, musicienne et couturière, qui subvient, en se tuant littéralement à la tâche, aux besoins matériels de la fratrie de quatre enfants, marquera durablement l’artiste par son courage et son destin. La jeune R.
# Bonheur continue son apprentissage par la fréquentation assidue du musée du Louvre.
# À dix-neuf ans, elle expose pour la première fois au Salon, sous le nom de Rosalie Bonheur, Deux lapins, tableau aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, et Chèvres et moutons.
# Dès 1842, elle se rend dans les abattoirs de Paris pour étudier l’anatomie des animaux. Elle obtient l’autorisation de la préfecture de police de porter le pantalon pour travailler plus aisément dans ce milieu masculin.
# Au Salon de 1845, une médaille de troisième classe est attribuée à l’artiste, qui signe depuis 1844 « Rosa Bonheur ». Trois ans plus tard, en 1848, elle reçoit la médaille d’or pour Bœufs et taureaux (race du Cantal).
# Elle obtient alors une commande de l’État pour un tableau à sujet agricole : ce sera Labourage nivernais, le sombrage, longtemps exposé au musée du Luxembourg, et aujourd’hui au musée d’Orsay. Elle prépare ses tableaux par des voyages d’études, suivant la méthode naturaliste.
Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais, 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
# En 1849, à la mort de son père, R. Bonheur s’installe avec son amie d’adolescence, Nathalie Micas, et la mère de celle-ci. Elle lui succède à la direction de l’école gratuite de dessin pour jeunes filles, secondée par sa sœur Juliette.
# Elle y prône l’importance du dessin : "Avant de prendre les pinceaux, assurez d’abord votre crayon". En 1853, elle expose au Salon Le Marché aux chevaux de Paris, toile monumentale de plus de cinq mètres de long, aujourd’hui au Metropolitan Museum of Art de New York, achetée par Ernest Gambart, marchand et imprésario de l’artiste aux États-Unis.
Rosa Bonheur (1822-1899), Le marché aux chevaux, 1853-1855, huile sur toile, 244 x 506 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York
# Rosa Bonheur rencontre également un immense succès au Royaume-Uni, notamment grâce à la diffusion populaire de ses œuvres par l’estampe et la photographie. Elle est reçue personnellement par la reine Victoria et voyage en Écosse en 1856, où elle trouve de nouvelles sources d’inspiration.
# Lors de l’Exposition universelle de 1855, la médaille d’or lui est attribuée pour La Fenaison en Auvergne, dont les critiques louent la simplicité, la vérité, la puissance.
Rosa Bonheur (1822-1899), La fenaison en Auvergne, 1855, huile sur toile, 213 x 422 cm, château de Fontainebleau
# En 1859, R. Bonheur achète le château de By, « domaine de la Parfaite Amitié », à la lisière de la forêt de Fontainebleau, et y installe un véritable parc zoologique miniature. Entourée de nombreux animaux, domestiques et sauvages -notamment des lions-, ses modèles et amis, elle les étudie inlassablement, à travers des milliers de dessins, esquisses et tableaux, dans leur vie quotidienne, respectueuse de leurs spécificités et de leur mystère.
Rosa Bonheur (1822-1899), Une lionne couchée et sept études de sa tête, mine de plomb, 22 x 30,5 cm, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre
# En 1865, elle est la première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur, remise par l’impératrice Eugénie.
# Dans les années 1880, elle se rend régulièrement à Nice, où elle achète la villa Bornala. Elle noue une amitié avec William Cody, dit Buffalo Bill, venu à Paris pour l’Exposition universelle de 1889 et se passionne pour les Amérindiens et leurs chevaux.
Rosa Bonheur (1822-1899), Peau-Rouge à cheval, huile sur bois, 22 x 29 cm, musée franco-américain du château de Blérancourt
# C’est aussi l’année de la disparition de N. Micas et de la rencontre avec Anna Klumpke (1856-1942), jeune peintre états-unienne qui sera son élève, sa portraitiste, sa compagne et son exécutrice testamentaire.
# À sa mort, elle laisse inachevées deux immenses toiles : La Foulaison des blés en Camargue et Les Chevaux sauvages.
# En 1983, le musée-atelier Rosa Bonheur ouvre au public ; en 2018, Katherine Brault rachète à la famille Klumpke la propriété de By et met en valeur des fonds inédits encore à étudier. Le musée d’Orsay et le musée des Beaux-Arts de Bordeaux s’associent pour organiser une rétrospective de l’œuvre de Rosa Bonheur en 2022.
Rosa Bonheur (1822-1899), L’aigle blessé, vers 1870, huile sur toile, 1,476 x 1,146 m, Los Angeles County Museum
Rosa Bonheur (1822-1899), Moutons dans les Highlands, 1857, huile sur toile, 46 x 65 cm, Wallace Collection
Rosa Bonheur (1822-1899), Le bétail en Auvergne, 1867, craie noire et blanche estompée avec des touches de patels, 25,91 x 20,4 cm, The National Gallery of Art, Washington
Rosa Bonheur (1822-1899), Ferme à l'entrée du bois, 1860 – 1880, huile sur tissu, 28,4 x 40,3 cm, The Cleveland Museum of Art
Rosa Bonheur (1822-1899), Cavaliers sous la pluie, 1882, huile sur toile, 89 x 130 cm, Leipzig, Museum der bildenden Künste
Rosa Bonheur (1822-1899), Etude d'arbre, aquarelle, 23,6 x 18,1cm, The Cleveland Museum of Art
Rosa Bonheur (1822-1899), Pâturage dans la montagne, huile sur toile, 26 x 37 cm, château de Fontainebleau
Rosa Bonheur (1822-1899), Taureau beuglant, sculpture en bronze, château de Fontainebleau
Rosa Bonheur (1822-1899), Brebis couchée, sculpture en bronze, 10 x 22 x 11,3 cm, château de Fontainebleau
Rosa Bonheur (1822-1899), Saint Georges terrassant le dragon, 1896, éventail peint, 34,3 x 67,2 cm, musée Carnavalet
Rosa Bonheur (1822-1899), Quatorze études de cerf, aquarelle, 44 x 54 cm, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre
Rosa Bonheur (1822-1899), Étude de chien de chasse, 8 esquisses, huile sur toile, 38 x 54 cm, château de Fontainebleau
La représentation, ses langages, moyens plastiques et enjeux artistiques.
Rosa Bonheur (1822-1899)
# "Je ne me plaisais qu’au milieu de ces bêtes, je les étudiais avec passion dans leurs moeurs. Une chose que j’observais avec un intérêt spécial, c'était l'expression de leur regard : l’oeil n'est-il pas le miroir de l’âme pour toutes les créatures vivantes ; n'est-ce pas là que se peignent les volontés, les sensations des êtres auxquels la nature n'a pas donné d'autre moyen d'exprimer leur pensée." Rosa Bonheur
Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais (détail), 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
# Dans l'oeil de ce boeuf blanc en plein effort se concentre sans doute tout ce que Rosa Bonheur souhaitait faire passer dans son travail : une sorte d'humanité animale qui passe toujours par le regard.
# C'est le plus souvent au travers des jeux de regard qu'elle donne aux animaux qu'elle représente toute leur force et leur caractère, créant par là un lien direct avec le regard du spectateur non plus comme s'il était celui qui regarde, mais plutôt en le positionnant comme celui qui est regardé.
# C'est là probablement que réside toute la puissance de la peinture de Rosa Bonheur. C'est là probablement ce qui l'a rendue si célèbre en son temps.
Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais, 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
# Oeuvre de très grand format, Labourage Nivernais ne laisse que très peu de place à la présence humaine. Les bouviers se trouvent pour la plupart en arrière plan. Ils sont par ailleurs représentés avec moins de détails que les animaux, ils paraissent plus flous.
L'oeuvre se pose comme un hymne au travail des champs et trouvera rapidement un écho favorable auprès des amateurs d'art citadins de la capitale.
# Dans cette oeuvre se trouve représenté tout ce que les Parisiens imaginent de la campagne et de la nature "sauvage". Par la fluidité et la finesse de la touche, Rosa Bonheur parvient à extraire de cette scène champêtre, toute la douceur et le charme de la campagne que l'on aime à fantasmer dans les salons parisiens.
"Lorsque parut le Labourage nivernais, au Salon de 1848, le fracas de l’admiration fut indescriptible. Il se trouva des critiques pour affirmer que cette jeune peintresse de vingt-six ans venait tout simplement de renouveler la face de l’art français".
Le bulletin de la vie artistique, 1922
# Cette admiration peut aujourd'hui nous sembler étonnante quand on sait qu'à peu près à la même époque, le peintre Gustave Courbet était raillé par les critiques d'art pour ses représentations de gens du peuple sur des formats réservés à la peinture d'histoire... Le statut de commande publique de Labourage nivernais aurait-il eu un impact sur le regard des critiques qui auraient pu, on l'imagine aisément, reprocher à Rosa Bonheur d'utiliser un grand format pour ne représenter qu'une scène de la vie quotidienne de campagnards provinciaux...
# Mais ce qui se joue dans Labourage nivernais dépasse de loin la simple représentation de gens du peuple. Dans ce tableau, ce sont les animaux qui sont mis en avant et qui semblent ordonner toute la dynamique et la portée symbolique de l'image.
Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais (détail), 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
# Pour Rosa Bonheur, les animaux ont une âme et c'est ce qu'elle veut transmettre dans ses oeuvres en les peignant comme si elle peignait des humains et en portant une attention toute particulière à leurs regards, faisant de ces derniers de véritables intercesseurs (intermédiaire) entre l'image et le regardeur...
# La question de la représentation dans l'oeuvre de Rosa Bonheur passe par son souci des détails. Elle traite ses images d'une touche fluide et légère qui lui permet de représenter les pelages avec une finesse remarquable, faisant des animaux qu'elle représente de véritables "seigneurs" du règne animal.
Rosa Bonheur (1822-1899), Le Roi de la forêt, 1878, Huile sur toile, 244 x 175, Collection particulière
# Dans Labourage Nivernais, tout concourt à créer une impression réaliste saisissante. Le traitement des détails en premier plan comme ces fleurs épargnées par le passage des attelages est d'une finesse remarquable et invite le spectateur à se perdre dans les moindres interstices de cette nature qui s'offre à lui.
Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais (détail), 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
# Le jeu des ombres et des lumières qui jouent avec les mottes de terre déjà retournées évoque clairement ces jours d'automne qui raccourcissent et offrent parfois une luminosité pâle mais toujours chaude.
# L'oeuvre, par sa rigueur figurative, convoque notre connaissance du monde ; elle renvoit tout un chacun à ses propres expériences et sa propre connaissance du monde rural et de la nature. Et quand ces connaissances n'existent pas, Labourage Nivernais nous invite à les imaginer. Le spectateur peut ainsi aisément ressentir la douceur de cette belle journée d'automne ; il peut aisément "entendre" le râle des boeufs qui tractent péniblement la charrue ; il peut imaginer le bruit des chaînes et celui de la terre qui se fend et se retourne au passage des socs métalliques ; il peut aisément imaginer les encouragements des bouviers qui guident leurs bêtes dans ce dure labeur...
# "Représenter", c'est présenter une seconde fois à la vue d'un spectateur qui n'aurait pu voir la scène en question. C'est bien là ce que cherche à faire Labourage Nivernais et c'est par le souci du détail de l'artiste que cela passe.
L'importance de la photographie
Le laboratoire photo de Rosa Bonheur dans le château de By
# Ce souci du détail, Rosa Bonheur le doit peut-être à son intérêt pour la photographie qu'elle pratique avec passion. Quand elle ne peint pas, elle aime à pratiquer la photographie à la fois pour se documenter mais aussi pour tenter de percer les mystères de cette forme nouvelle de captation et de création d'image.
# Rosa Bonheur a donc su tirer parti de ce nouveau medium en tirant des images qui lui permettaient de travailler ses modèles animaliers sans avoir à s'adapter aux contraintes de leurs mouvements.
# Il semblerait qu'elle ait également pratiqué la photographie pour alimenter de nouvelles formes de pratiques artistiques : on a retrouvé dans son château des photographies aquarellées et des cyanotypes travaillés au graphite et réhaussés de gouache blanche.
Rosa Bonheur (1822-1899), Sans titre, 1892, dessin et goucahe sur cyanotype.
# C'est peut-être là l'impression que l'on peut ressentir au premier regard sur Labourage Nivernais : "C'est photographique et ça ne l'est pas du tout". Pour répondre à la commande publique de l'état, il fallait probablement que l'oeuvre semble la plus réalite possible, fonctionnant presque comme les "preuves" que constituent les tirages photographiques.
# Et pourtant l'oeuvre est encore pleinement ancrée dans une forme de symbolisme induit par la volonté de l'artiste jouant de ce que le peintre Eugène Delacroix explique à son ami Théophile Silvestre : "Devant la nature elle-même, c'est notre imagination qui fait le tableau: nous ne voyons ni les brins d'herbe dans un paysage, ni les accidents de la peau dans un joli visage. Notre oeil, dans l'heureuse impuissance d'apercevoir ces infinis détails, ne fait parvenir à notre esprit que ce qu'il faut qu'il perçoive ; ce dernier fait encore, à notre insu, un travail particulier ; il ne tient pas compte de tout ce que l'oeil lui présente ; il rattache à d'autres impressions antérieures celles qu'il éprouve et sa jouissance dépend de sa disposition présente".
# En cela, l'oeuvre de Roisa Bonheur s'attache à éveiller en nous des émotions et des sensations déjà vécues. Et bien au-delà de cela, ses oeuvres nous entraînent parfois dans une perception de la nature quelque peu idéalisée à l'aune de notre condition humaine. Comme le rappelle Sandra Buratti-Hasan, la représentation de cette famille de lions où le mâle est couché à côté de la femelle et des petits est complètement irréaliste. Que ce soit avec Le Lion chez lui ou Labourage nivernais, la nature à l'oeuvre, dans les peintures de Rosa Bonheur, est une nature maîtrisée et pensée par le prisme de l'humain.
# Repensons un instant aux ambitions féministes de Rosa Bonheur et de sa lutte contre le patriarcat... ne pourrait-on pas facilement envisager que ce lion ne soit qu'une résonnance du "pater familias", figure incontournable de la conception familiale au XIXème siècle.
Rosa Bonheur (1822-1899), Le Lion chez lui, 1881, huile sur toile, Kingston-upon-Hull .
La place du dessin
# Aborder la question de la représentation en regard de l'oeuvre de Rosa Bonheur ne peut se faire sans envisager la place du dessin d'étude dans son travail, d'autant plus qu'il est impossible à l'artiste de faire poser ses modèles. Pour réaliser Le marché aux chevaux qui aura un succès phénoménal, Rosa Bonheur a réalisé des centaines de croquis et de peintures d'esquisse pour capter la fougues des chevaux qui se cabrent dans le tumulte du marché.
# Le regard que pose Sandra Buratti-Hasan sur le Marché aux chevaux est très intéressant. Elle explique "qu'avec ce tableau, Rosa Bonheur montre une ambition immense, donnant à un sujet banal la puissance et la fougue d'une scène de bataille. On a l'impression que les chevaux sont en rébellion, que le pouvoir de l'homme est dans un très fragile équilibre".
Rosa Bonheur (1822-1899), Le marché aux chevaux, 1853-1855, huile sur toile, 244 x 506 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York
# Seulement quelques mois avant la grande exposition consacrée à l'artiste au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, la propriétaire du château de By a découvert dans le grenier de l'édifice, le dessin réalisé sur une toile roulée serrée qui devait disparaître sous la peinture du Marché aux chevaux. Si ce dessin existe toujours, c'est que l'artiste a modifié son projet et a finalement changé de toile.
Rosa Bonheur (1822-1899), dessin préparatoire sur toile pour Le marché aux chevaux, présenté pour la première fois au musée des Beaux-Arts de Bordeaux lors de la grande rétrospective consacrée à Rosa Bonheur
# Ce très grand dessin n'entre en effet pas dans les détails. il devait esquisser les grandes lignes de la composition et les nombreux dessins d'après nature de l'artistes devaient l'aider dans le travail des détails. Ici, le dessin permet d'élaborer la composition sur la toile. L'artiste prévisualise ainsi l'équilibre général de son projet avant de passer au travail de la couleur et des détails. Cette composition ci ne devait pas être du goût de l'artiste, sinon elle ne nous serait jamais parvenue.
# Les centaines d'esquisses peintes et de croquis réalisés par Rosa Bonheur sont un moyen d'appréhender et de comprendre le réel. Par le travail du dessin, l'artiste comprend s'approprie par le geste graphique les structures osseuses qui caractérisent les corps des animaux qu'elle représente dans ses toiles.
# Ce travail de dessin d'après nature est essentiel car il permet à l'artiste de créer des automatismes qui lui permettront par la suite de se détacher du modèle et d'en restituer les apparences de mémoire.
# Ces études d'après nature sont essentielles pour le travail de la peinture. Comment Rosa Bonheur aurait-elle pu rendre compte de la vivacité des chevaux du marché de Paris si elle ne les avait pas longuement étudiés. Comment aurait-elle pu rendre compte de leur musculature si elle n'en avait pas eu une réelle connaissance ; la scène représentée au final étant tellement fugace...
# Face à ces études d'après nature de lions et lionnes, on ne peut s'empêcher de penser au premières représentations connues de l'histoire de l'humanité : les lionnes de la grotte Chauvet, en Ardèche. Les problématiques du dessin sont les mêmes : impossible pour ces hommes et femmes artistes des premiers temps de proposer aux lionnes sauvages de venir poser au fond de leur grotte... Le seul moyen possible pour les reoprésenter avec autant de justesse était de les connaître parfaitement.
# On imagine facilement ces artistes d'un autre temps passer des heures à observer les animaux qu'il chassaient et représentaient sur les parois des cavernes. Disposaient-ils de supports qui leur permettaient de réaliser des esquisses sur le motif (écorces, pierres plates...) ? c'est là un détail que nous ne connaîtrons probablement jamais. Toujours est-il que la comparaison avec le travail de Rosa Bonheur est ici assez simple : le processus et la posture de l'artiste dessinant sont les mêmes ; beaucoup d'observation, une connaissance parfaite du sujet et une restitution par la ligne dans un geste qui ne doit pas trembler pour être juste...
Le panneaux des lionnes de la grotte Chauvet, - 32 000 ans avant Jésus Christ, Grotte Chauvet, Vallon Pont-d'Arc, Ardèche, France.
La figuration et l'image, la non-figuration.
Rosa Bonheur (1822-1899)
# Parler de la figuration, c'est parler des oeuvres d'art, en particulier dans la peinture, qui s'exprime par la représentation d'objets et d'êtres de la réalité. Sont figuratifs les arts qui utilisent comme modèles les objets du réel. Figuration et représentation sont donc étroitement liés. Mais il faut bien comprendre que figuratif ne signifie pas nécessairement réaliste.
# L'artiste peut en effet choisir de représenter les choses telles qu'elles se présentent dans la réalité ou en les déformant.
Rosa Bonheur (1822-1899), Labourage nivernais, 1849, huile sur toile, H : 133 cm, L : 260 cm, achat après commande de l'État en 1849. Musée d'Orsay, Paris
# Quand elle est réaliste, comme le Labourage Nivernais, une image figurative impose le cadrage choisi par l'artiste au spectateur. Ici, le spectateur semble se trouver relativement proche de la scène de labour. Cette proximité permet à l'artiste de donner la sensation au spectateur de faire partrie de la scène et d'y assister vraiment.
# On peut également noter que le format allongé de l'image, associé au cadrage resséré sur les attelages, renforce l'impression d'immensité du paysage en arrière plan.
# La perspective du champ labouré, dont le point de fuite se situe à l'extérieur gauche l'image crée de la profondeur dans l'image dès le premier plan et accentue cette impression d'immensité.
# L'oeuvre de Rosa Bonheur se base sur une intention réaliste. Sa volonté de représenter les animaux tel qu'elle les voit lui impose de soigner chaque détail de ses représentations.
Albrecht Dürer (1471-1528), Rhinocéros, 1515, gravure sur bois, 21,4 x 29,8 cm, British Musuem, Londres
# Le Rhinocéros de Dürer est un exemple intéressant de figuration animale non réaliste. L'artiste a réalisé cette gravure au XVIème siècle en se basant sur une description écrite et un bref croquis réalisé par un inconnu à la suite du débarquement d'un rhinocéros indien au Portugal.
# Dürer n'a jamais pu observer réellement l'animal et son dessin fait preuve de nombreuses inexactitudes anatomiques. Pourtant, cette gravure fut considérée longtemps comme une représentation réaliste de l'animal.
# Cette représentation peu réaliste n'en demeure pas moins l'image figurative d'un animal quelque peu fantasmé par l'artiste.
artite inconnu, Le Rhinocéros à Lisbonne, première représentation illustrant le poème de Penni (illustration sur laquelle se serait basé Albrecht Dürer pour réaliser sa gravure), Rome, 13 juillet 1515 (Biblioteca Colombina, Séville)
# Durant la période d'activité de Rosa Bonheur, d'autres artistes ont envisagé la figuration animalière comme une possibilité de dépeindre la réalité.
# Contemporain de Rosa Bonheur, le peintre Constant Troyon découvre les peintures de paysages hollandaises et décide de mettre en avant les animaux dans ses tableaux. Comme rosa Bonheur, il s'affiche comme un peintre réaliste convaincu. Comme dans les tableaux de Rosa Bonheur, les enimaux peints par Troyon sont majestueux et s'imposent devant les figures humaines souvent reléguées au second plan.
Constant Troyon (1810-1865), Boeufs allant au labour, effet de matin, 1855, huile sur toile, 262 x 391 cm, Achat après commande de l'Etat, 1854 ; Dépôt du musée du Louvre, 1980, Mysée d'Orsay, Paris
# A l'image de Rosa Bonheur, Constant troyon réalise ses représentations animales sur des formats souvent monumentaux mais on ne retrouve pas dans ses oeuvres, la même force et pourrait-on-dire, la même "humanité" dans le regard des animaux qu'il dépeind.
# On peut toutefois comprendre ici que ce n'est qu'au XIXème siècle, probablement sous l'influence de Rosa Bonheur que les animaux deviennent de véritables sujets pour la peinture. Avant cela, les animaux ornaient les tableaux comme des sujets anecdotiques accompagnant les hommes dans leurs activités...
# Avant Rosa Bonheur, les peintres se sont également bien souvent employés à représenter les animaux dans des sompositions de natures mortes, certes réalistes, mais loin des idées nouvelles de Rosa Bonheur, ces animaux représentés morts étaient destinés à servir de repas aux humains.
# Parmi les représentant de ce type les plus célèbres, on peut citer Le Boeuf écorché de Rembrandt et La raie de Jean Siméon Chardin.
Rembrandt (1606-1669), Le Bœuf écorché, 1655, huile sur toile, 94 x 69 cm, musée du Louvre, département des peintures du Louvre, Paris (France)
# Véritable chef d'oeuvre de la peinture de Remabrandt, Le boeuf écorché, peint sur le vif, traite la représentation de la chaire au travers d'empâtements épais qui rendent l'image à la fois attirante pour ses effets de matière et presque repoussante pour les mêmes raisons. Au travers de cette image, Rembrandt nous dit : "Souviens-toi que tu vas mourir"...
# La touche picturale vive et même un peu brutale confère à cette image une dimension presque expressionniste qui fascinera bien des artistes de la modernité naissante du XXème siècle et même bien plus tardivement avec des artistes comme Damien Hirst.
Damien Hirst (1965-), God Knows Why, 2005, 256,8 x 206,6 x 176,5 cm, Glass, painted stainless steel, silicone, oak, stainless steel, sheep and formaldehyde solution
# Ici, dans l'oeuvre de Hirst, l'animal n'est même plus représenté, il est directement présenté. Il s'agit ici d'une véritable carcasse de mouton écorché dont le dispositif d'exposition n'est pas sans rappeler la composition de Rembandt et qui évoque à peu près les mêmes idées liées à notre corporéité et otre fin inéluctable...
# Peut-être semble-t-on s'écarter un peu de la question de la figuration animale en lien avec l'oeuvre de Rosa Bonheur...
# Mais à bien y réfléchir, l'oeuvre de Hirst, au travers de la représentation animale, n'interroge-t-elle pas notre condition humaine comme l'entreprend l'oeuvre de Rosa Bonheur ? Il y a peut être un lien qui se tisse ici entre ces deux artistes que tout semble opposer.
Jean Siméon Chardin (1699-1779), La Raie, 1728, huile sur toile, 114 x 146 x 10 cm, Musée du Louvre, Paris
# Les mêmes questionnements se posent quand on porte le regard sur La raie de Jean Siméon Chardin. Dans ce tableau l'artiste passe du vivant animé à la mort et l'inanimé au travers de la représentation d'ustensiles...
# Comme de nombreuses nature morte, celle-ci est un prétexte à la représentation et le support d'une véritable recherche picturale. Toutefois, l'artiste parle ici du temps qui passe en représentant une image ou tout semble se jouer dans un instant relativement furtif ; celui d'une scène de vie quotidienne, dans le recoin d'une cuisine du XVIIIème siècle.
# Ce qui est finalement assez marquant dans l'oeuvre de Rosa Bonheur, c'est que les animaux qu'elle représente sont bien vivants et sont généralement représentés en majesté. Cela en fait les vrais "héros" dans la peinture de l'artiste.
# On remarque aussi que bien souvent, et fort maleureusement, les artistes ne représentent les animaux que par le prisme de leur mort...
Eric Poitevin (1961-), Sans titre, 2006, tirage C-print, 22! x 180, Frac Auvergne, Clermont-Ferrand.
# le travail photographique d'Eric Poitevin s'est essentiellement porté sur ce que l'on peut appeler des natures mortes, que celles-ci soient constituées par des cadavres d'animaux (les chevreuils de 1993, les papillons de 1994, voire les crânes de la même année) ou par des fragments de nature ne comportant pas d'élément habituellement associé à l'idée de vie.
# C'est peut-être un des paradoxe de l'art que de représenter la mort quand on veut parler de la vie... Rosa Bonheur aura su échapper à ce paradoxe en représentant des animaux plein de vie.
Joseph Beuys (1921-1986), I Like America and America Likes Me, 2974, action-performance réalisée en mai 1974 à la galerie René Bock, à New York. Beuys y cohabite trois jours avec un coyotte sauvage.
# Dans cette oeuvre, Joseph Beuys souhaite réconcilier symboliquement la société occidentale avec cet animal, sacré pour certaines populations amérindiennes, et incarner la rencontre entre l'homme moderne et une spiritualité perdue. Il invite également les États-Unis à se confronter au massacre des populations autochtones d'Amérique du Nord, poursuivant une démarche déjà menée en Allemagne : tenter de soigner un peuple en lui faisant affronter les pages sombres de son histoire (texte extrait du site du Centre pompidou).
# Au travers de cette action, l'artiste Jospeh Beuys exploite l'image de l'animal pour ce qu'il représente sur le continent Nord-américain et l'histoire des amérindiens..
# Dans cette performance, Beuys veut incarner la recontre entre l'homme moderne et une spiritualité perdue, qui passe par l'animal...
La matière, les matériaux, la matérialité de l'oeuvre.
Rosa Bonheur (1822-1899)
La Présentation de l'oeuvre.
Rosa Bonheur (1822-1899)
Le champ des questionnements transversaux.
Rosa Bonheur (1822-1899)
Le champ des questionnements interdisciplinaires.
Rosa Bonheur (1822-1899)
Rosa Bonheur (1822-1899)
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